Friday, May 6, 2011

Rembrandt, a t-il pensé au moment photographique quand il a réalisé les peintures de Christ?


Commentaire de Alfredo Salazar sur l'expo "Rembrandt et la figure du Christ" en exposition au Musée de Louvre.


Sur chacune de ces petites études, l’attitude et l’expression du sujet diffèrent, l’artiste voulant témoigner des diverses facettes du tempérament du Christ : humilité, douceur, compassion, vulnérabilité, doute, souffrance. Rembrandt vit au contact avec les juifs d’Amsterdam et Il a fait venir plusieurs personnages de cette communauté a son studio pour pouvoir imaginer et tracer les traits physiques de Jésus.



Pendant les vingt premières années de sa vie d’artiste, Rembrandt a représenté le Christ à d’innombrables reprises en restant fidèle aux précédents établis par l’art des anciens Pays-Bas et l’art italien, mais un grand changement est survenu dans la conception qu’il s’en fait au cours des années 1640. Rembrandt vit au contact de la communauté juive d’Amsterdam lorsqu’il entreprend de peindre plusieurs figurations en buste du Christ. Il y récuse toute représentation idéalisée et choisit de traiter Jésus comme une figure historique. Il défie alors la haute autorité spirituelle du prototype transmis depuis l’Antiquité et promulgué par l’Église chrétienne universelle. Cette image canonique, voire stéréotypée du Christ, avait été affirmée par des siècles de tradition, et affinée au fil de controverses ecclésiastiques – parfois dans le sang. Le modèle repose alors essentiellement sur la « Lettre de Lentulus », qui donne une description (apocryphe) idéale de Jésus.

Repenser l’imagerie du Christ est un sujet de choix pour un peintre aussi soucieux de rendre compte des passions et de la vérité d’un destin individuel. Ces visages peints sont remarquables par l’empathie qu’ils suscitent, véritable marque de la nouvelle formulation de la personnification divine qu’a développée Rembrandt. Sur chacune de ces petites études, l’attitude et l’expression du sujet diffèrent, l’artiste voulant témoigner des diverses facettes du tempérament du Christ : humilité, douceur, compassion, vulnérabilité, doute, souffrance. Par cette image radicalement différente de celle mise en avant jusqu’alors dans l’art européen, Rembrandt cherche à représenter l’émotion éprouvée et suscitée par le Christ, faisant du corps de celui-ci le réceptacle des sentiments.

Si elle ouvre la voie à de nouvelles recherches picturales, cette expérimentation de Rembrandt demeure un phénomène isolé, reprise par certains de ses élèves seulement. Ensuite la parenthèse se referme sans faire école et les essais du maître n’entraînent pas de changement radical dans la représentation du Christ en peinture.

La réflexion menée par Rembrandt autour de la double nature du Christ relève d’une problématique à la fois théologique et artistique : la question de la présence exceptionnelle et la mise en peinture de son surgissement dans le réel. Les scènes bibliques sont incontestablement celles dans lesquelles Rembrandt déploie avec le plus d’ampleur son extraordinaire talent de narrateur. Plus que dans tout autre thème, Rembrandt y fait preuve de la puissance de ses moyens et de son talent à disposer les figures et donner de l’intensité aux scènes, quels que soient l’épisode ou le nombre de personnages. Le moindre mouvement est déterminant pour la cohésion des figures entre elles et montre combien l’artiste maîtrisait la construction d’une scène.

Ce n’est pas un hasard si un lien étroit unit les sept « Têtes » au type du Christ mis en forme durant les années de sa maturité, notamment dans des œuvres aussi significatives que les Pèlerins d’Emmaüs du Louvre et La Pièce aux Cent Florins. Visage, corps, silhouette, des lignes générales au détail de la peau : tout cela compose la « figure » du Christ vue par Rembrandt. La peinture illusionniste qu’il a privilégiée à ses débuts se fait de plus en plus allusive et suggestive. Ce changement d’orientation significatif dans son traitement des sujets religieux révèle une conception plus apaisée et méditative. Sans que soit jamais altérée la force narrative de son art, la présence active et puissante du Christ parmi la foule laisse peu à peu la place à une tranquillité et une sérénité sublimes.

Petit à petit Rembrandt développe l’idée que, par sa seule présence, le Christ est un objet de méditation et donc nécessairement un objet de perception. Cette perception du Christ par les personnes auxquelles il apparaît et la réaction de ces dernières à sa présence, les sentiments qui naissent en elles, constituent une préoccupation constante dans l’œuvre religieuse de Rembrandt. De ce fait, il est certains moments du ministère de Jésus qui posent des questions analogues à celles entourant les événements qui ont suivi sa mort et sa résurrection : Le Christ dans la maison de Marthe et Marie, Le Christ apparaissant aux disciples, Le Christ apparaissant aux disciples sur le Mont des Oliviers se détachent de la sorte parmi les épisodes de la vie de Jésus. Ces thèmes forment autant de satellites nécessaires autour du groupe d’esquisses peintes, elles-mêmes entourant les Pèlerins d’Emmaüs du Louvre.

Dans ces œuvres, Rembrandt met en forme une réponse artistique des plus personnelles à la présence du Christ, entre méditation et émotion. Cette dimension méditative reflète l’intime conception qu’avait Rembrandt de l’essence du Christ comme flambeau spirituel et l’image du Christ qui en résulte eut sans doute un sens profond pour l’artiste, outre l’évident défi lancé à la grande tradition de ses prédécesseurs de la Renaissance nordique (primitifs flamands, Dürer, Lucas de Leyde...).













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